Granet tient une place à part parmi les paysagistes français du début du XIXe siècle1. Il n’est pas l’héritier de la tradition classique renouvelée par Valenciennes, contrairement à ses contemporains Bidauld, Boguet, Chauvin ou Denis, mais un indépendant qui a développé dans sa pratique du plein air une manière de transcrire la nature directe, intuitive et synthétique, annonciatrice de la modernité de Corot. Admis à l’école gratuite de dessin d’Aix vers 1788-1789, Granet se forme au genre du paysage auprès de Jean-Antoine Constantin. Dans l’atelier de ce dernier il se lie d’amitié avec Auguste de Forbin, jeune noble auquel sa carrière sera étroitement liée. C’est en sa compagnie qu’il se rend à Paris en 1796 et qu’il intègre l’atelier de David deux ans plus tard. C’est aussi à travers lui que Granet se lie avec les Lyonnais Révoil et Richard, ce qui lui vaut d’être assimilé au parti « artistocrate » de l’atelier par Delécluze qui s’en fait le mémorialiste. Faute de pouvoir payer ses leçons, Granet poursuit seul sa formation devant les maîtres anciens au Louvre ; il y expose lui-même bientôt en participant au Salon de 1799, inaugurant ainsi sa carrière d’artiste d’exposition.

En 1802, il entreprend le voyage en Italie avec Forbin, et s’établit durablement à Rome où il trouve la source de son art ainsi qu’un large réseau de relations parmi la communauté française. Au Salon, où il envoie régulièrement ses productions, c’est par ses « intérieurs » que son originalité est reconnue : en 1806 Chaussard loue l’artiste « qui se fait un genre à lui, qui crée son talent, ne marche sur les pas de personne et ne suit aucune manière d’école2 ». Acquis par Joséphine au Salon de 1810, Stella dans sa prison (Moscou, musée Pouchkine) fait beaucoup pour sa renommée ; elle atteint son apogée avec Le Choeur des Capucins (New York, Metropolitan Museum), oeuvre si convoitée depuis sa présentation à Rome, en 1815, que Granet en réalisera pas moins de douze versions pour les plus grandes collections. La Restauration fit le succès du tableau qui exaltait la vie spirituelle et les rites d’une communauté que l’Empire avait proscrite de Rome. À la fin de juillet 1824, le peintre quitte à regret la Ville éternelle et retrouve définitivement Paris pour y occuper le poste de conservateur des tableaux des musées royaux que lui a procuré Forbin, qui en est devenu le directeur.

Granet n’est pas un portraitiste. Les rares physionomies qui émergent de son oeuvre sont celles de ses compagnes féminines, ainsi que la sienne propre, captée de loin en loin tout au long de sa vie avec la même économie de moyens. Daté de 1838, le portrait d’un frère capucin n’en est que plus surprenant. Son intérêt n’est pas dans son charme pittoresque pour le moins austère, mais dans la note nouvelle qu’il apporte à la connaissance de l’artiste. Si on ignore l’identité du modèle, son portrait est au moins la preuve de l’attachement durable de Granet aux frères mineurs associés à sa gloire, lesquels n’avaient recouvré d’existence légale que récemment en France, ayant été sous le coup des lois révolutionnaires de proscription des congrégations religieuses jusqu’au début de la monarchie de Juillet. Rendue avec un souci appuyé de vérité, la physionomie grave du vénérable vieillard prend presque valeur de vanité lorsqu’on considère les dispositions psychologiques du peintre au cours de l’année 1838, que les maux de l’âge inclinent à la « tiédeur morale » et à la « mélancolie découragée3 ». (M.K.)

 

 

1. Voir Denis Coutagne, François-Marius Granet, 1775-1849. Une vie pour la peinture, Paris, éd. Somogy/Aix-en-Provence, musée Granet, 2008.
2. Pierre Jean-Baptiste Chaussard, Le Pausanias français ; état des arts du dessin en France, à l’ouverture du XIXe siècle : Salon de 1806, Paris, 2nde éd., 1808, p. 399.
3. Lettres de Forbin à Granet des 20 mai et 14 août 1838, dans Isabelle Neto (éd.), Granet et son entourage. Correspondance de 1804 à 1849, Nogent-le-Roi, 1995, p. 186 et 191.

 

 

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