Il a fallu attendre 1920 pour que le nom de Giuseppe Antonio Pianca sorte du cercle étroit des chroniques érudites valsésiennes, exhumé par Roberto Longhi dans une conférence qui le mettait sur un pied d’égalité avec Magnasco, ouvrant la voie à des études qui ont permis à la monographie et au catalogue raisonné de voir le jour1. Son art n’étant guère représenté en dehors de l’Italie, l’artiste reste cependant encore largement ignoré de la communauté des chercheurs internationaux, et n’a, de fait, pas rencontré la réception que sa grande originalité lui mérite. L’oeuvre de Pianca est un univers pictural singulier, synthèse des tendances coloristes les plus expressives de son siècle ainsi que du précédent. D’une très forte plasticité et dense de matière, sa figuration inquiète est le reflet d’une vie mouvementée2.
 

Ce natif de la vallée piémontaise de la Valsesia doit fuir à l’âge de dix-huit ans après avoir engrossé une jeune fille du pays sans intention de l’épouser. Réfugié à Milan en 1721, il y sera poursuivi par la justice de Varallo, et, finalement arrêté en 1726, purgera une peine de six mois dans ses geôles. Entretemps, dans la capitale lombarde, le jeune Pianca a tracé sa voie dans le sillage des peintres de l’ère borroméenne qui, au début du XVIIe siècle, ont perpétué les distorsions formelles et l’imagination capricieuse du maniérisme tardif, tels Morazzone, Crespi, Procaccini, et que prolonge le contemporain Filipo Abbiati. Mais la rencontre qui va donner une orientation décisive à son art et conditionner sa manière de voir est celle d’Alessandro Magnasco : Pianca découvre à son contact la possibilité d’une exécution débridée et truculente mise au service d’une expressivité fantasque. Sa production n’en est pas moins consacrée presque exclusivement aux tableaux de dévotion que lui commandent les congrégations locales, sans rien sacrifier cependant de sa sensibilité ténébreuse : madones grimaçantes, Jésus boursouflés et saints de complexion maladive peuplent sa peinture avec bonheur.

À partir du début des années 1740 Pianca mène une carrière itinérante. Après son mariage avec la Française « Giovanna Tribau » (sans doute Jeanne Thibaut ou Thiébaut), en 1742, dans sa ville natale, on le retrouve à Crémone au service du comte Tornielli di Vergano. Il développe sa pratique de la fresque en décorant le grand salon du palais Visconti d’un cycle sur l’histoire de Moïse, avec des allégories des Vertus, ainsi que la villa de Campagnola à Corte de’ Cortesi. C’est probablement à la protection de la famille Tornielli que Pianca doit son installation à Novara, à proximité de leur palais dans la paroisse San Giovanni e Paolo, lui assurant une réussite locale qui lui vaudra le surnom de « Pianca novarese ». Le Martyre de Saint Lucio, peint en 1745 pour l’église Sant’Eufemia, est l’un des points culminants de son oeuvre et lui mériterait une place dans l’histoire de la modernité par sa préfiguration de la peinture romantique : aux antipodes d’une image sacrée, l’action est conçue comme un fait de chronique laïque, un meurtre brutal dans un sous-bois réduit aux proportions d’une vignette dans un paysage à grande échelle.

La mort de son épouse en 1748 met fin à une courte période de félicité; endetté, Pianca reprend la route et s’installe à Milan. S’il ne peut compter sur la solidarité de sa famille, avec laquelle il rompt entre 1757 et 1759, il obtient toujours des commandes pour sa région natale. Sa vie n’est plus documentée que par ses oeuvres au cours de cette dernière période milanaise qui s’achève avec sa mort en 1762.

Par son sujet, Moïse défendant les filles de Jethro s’inscrit probablement dans la continuité du cycle peint pour Tornielli en 1742. Comme le montre également l’existence de deux versions de Moïse sauvé des eaux, dont l’une est le pendant potentiel de notre tableau par le format3, l’artiste a prolongé ses recherches dans le champ de la peinture décorative par des tableaux de chevalet, sans doute pour satisfaire la demande que suscite la nouveauté de sa manière façonnée sur le modèle rocaille français, qu’il a pu assimiler au contact des oeuvres produites par Carle van Loo lors de son séjour à la cour de Savoie, dans les années 1730. Mais si Moïse sauvé des eaux répond parfaitement aux critères d’une peinture d’agrément, l’énergie sauvage de Moïse défendant les filles de Jethro en est l’antithèse. La manière barbare d’attaquer la toile,  les formes boursouflées, le rejet de toute forme de grâce, le coloris glauque et peu différencié dans le paysage largement brossé, relèvent d’une sprezzatura toute personnelle, aux antipodes du savoirfaire académique français contemporain. (M.K.)

 

 

 

 

 

1. Filippo Maria Ferro, Giuseppe Antonio Pianca. Pittore Valsesiano del ‘700, Soncino, 2013.
2. Celle-ci est résumée dans l’excellente notice de F. M. Ferro, dans Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 83, 2015, consultable sur http://www.treccani.it/enciclopedia/giuseppe-antonio-pianca_ (Dizionario-Biografico).
3. Le tableau catalogué par F. M. Ferro, p. 164, n° 70, fig. XXVIII et XXIX, conservé dans une collection particulière de Soncino, est une version réduite avec variantes du tableau vendu par Auktionshaus Stahl.

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