• ill. 1. Émilie Charmy, Portrait de Berthe Weill. Lyon, collection Michel Descours.

« Il n’est même pas certain qu’elle évolue jamais d’une manière frappante. “Progrès, procédé, école…”, ces mots n’ont pas de place ici, sous le nom d’une artiste qui naquit si bien armée contre eux1. » En effet, comme le relève très jus­tement l’écrivain Colette, Émilie Charmy n’a eu de cesse, durant toute sa carrière, entamée dans les dernières années du XIXe siècle, de fuir les conventions, les normes, les situations établies ou confortables. Issue d’une famille stéphanoise qu’elle perdit enfant, Charmy emménage à Lyon en 1898 avec son frère et rencontre le peintre de fleurs Jacques Martin (1860-1937) qui deviendra pour elle une sorte de père spirituel. Elle refuse une formation académique ou institutionnelle et préfère les cours privés de Jacques Martin sur lesquels elle s’appuie pour développer un style personnel dans le sillage du postimpressionnisme.

Elle présente pour la première fois huit peintures au Salon des artistes indépendants de 1903 et décide de s’installer près de Paris. Deux ans plus tard, Émilie Charmy est remarquée au Salon des Indépendants (1905) par la jeune galeriste Berthe Weill qui « sent une personnalité », qui apprécie le fait qu’elle « ne fait partie d’aucune chapelle » et qu’elle ait fermement choisi de « ne [pas] se plier à une formule toute faite et plaisante […] et de ne pas s’écarter de la ligne de conduite qu’elle s’est tracée […] pour imposer sa personnalité2 ». Soudées par des liens d’amitié intenses, les deux femmes poursuivront leur collaboration entamée durant cette année historique pour la peinture fauve jusqu’à la mort de la galeriste en 1951 (ill. 1). En effet, Charmy présente deux natures mortes au Salon d’automne de 1905, devenu célèbre pour avoir accueilli les oeuvres de Camoin, de Manguin, de Marquet, de Matisse, de Derain ou de Vlaminck dans une salle baptisée la « cage aux fauves » par le critique Louis Vauxcelles. C’est dans cette effervescence qu’Émilie Charmy commence à côtoyer les Fauves, en particulier Charles Camoin avec lequel elle fera plusieurs voyages en Corse et à Toulon, et qu’elle assigne à la couleur un nouveau rôle. Plongée dans ce contexte, nourrie par les discussions avec les Fauves, sa palette ne débordera néanmoins jamais vers une explosion de couleurs vives, mais se caractérise par des nuances subtiles de bleus et de verts méditerra­néens, puis des ocres, des orangés ou des bruns.

Dans le catalogue de l’exposition monographique Émilie Charmy, 1878-1974 que le musée Paul Dini de Villefranche-sur-Saône a édité en 2008, l’his­torienne de l’art Corinne Charles propose une approche originale et stimulante de l’œuvre en la rapprochant des premiers mouvements d’avant-garde allemands (Die Brücke et Die Blaue Reiter) et en situant Charmy par rapport à l’expressionnisme naissant. Corinne Charles relève très justement la difficulté de définir plastiquement la production des artistes expressionnistes, dont le point de rencontre se situe davantage dans l’attitude adoptée face à la création que sur le plan strictement esthétique. Leur volonté d’exprimer une réaction individuelle et spontanée face au monde ne pouvait qu’intéresser l’artiste dont on a déjà mis en avant l’indépendance, l’anticonformisme et le caractère rebelle.

Dans l’entre-deux-guerres, Émilie Charmy devient célèbre et mène une vie mondaine. Elle évo­lue dans un certain confort, apprécie les décors luxuriants et se rapproche d’individus fortunés ou de pouvoir. Dans son appartement de la rue de Bourgogne, à deux pas du musée Rodin, dont elle appréciait tout particulièrement le jardin, elle tenait une sorte de salon qui réunissait des personnalités telles qu’Édouard Herriot. Sa réus­site sociale est si importante qu’elle a tendance à freiner sa carrière artistique. Après s’être réfugiée, avec son compagnon Georges Bouche, dans leur maison à Marnat (Auvergne) pendant la Seconde Guerre mondiale, Charmy rentre à Paris en 1945. Elle rencontre des difficultés à réintégrer le milieu artistique parisien et les galeries ne s’intéressent plus beaucoup à sa peinture.

 

La volonté d’Émilie Charmy d’évoluer hors des canons classiques s’exprime particulièrement dans ses nus. Dans notre nu debout, la cambrure de la taille et la courbe des fesses sont délibérément accentuées, contrastant avec la poitrine menue dissimulée par une posture faussement pudique. L’allongement de l’anatomie évoque le canon en amphore des peintres maniéristes, autant que les exagérations ingresques. En dépit de son caractère expérimental, autrement dit de son approche réso­lument anti-académique, l’étude ne s’affranchit pas de la nature et respecte la vérité du clair-obs­cur : le volume du corps est défini par l’éclairage oblique venant de la gauche, qui, frappant le bas du visage, l’épaule, le haut du buste, le bras, le dos et les fesses, révèle les carnations rosées. L’audace du peintre réside dans l’usage de la couleur et dans l’énergie avec laquelle elle est appliquée, le noir des contours, des ombres et de la chevelure contrastant fortement avec le vert-jaune du fond, aplat de couleur exempt de toute indication spa­tiale. Présenté au Grand Palais en 1967 lors de la rétrospective consacrée au Salon des Indépendants (1902-1905), le Nu féminin debout doit être considéré comme un exemple majeur de la participation de l’artiste à l’avant-garde de son temps. (G.P. et M.K.)

 

1. Colette, Quelques toiles de Charmy – Quelques pages de Colette, cat. exp. Paris, Galerie d’art ancien, 1921, repris dans Cahiers de Colette, n° 12, 1990, p. 7-9.
2. Berthe Weill, Pan !… dans l’œil !… ou Trente ans dans les coulisses de la peinture contemporaine, 1900-1930, Paris, L’Échelle de Jacob, 2009, p. 62.

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