Dans Une vie, Philippe Dereux raconte comment il se passionne assez vite pour la botanique, discipline qui lui donne le goût pour « la couleur et la singularité1 ». Devenu instituteur (de 1940 à 1973), il se consacre d’abord à l’écriture. Ses textes paraissent dans un premier temps dans la revue La Tour de feu, puis L’Enfer d’écrire est édité par Armand Henneuse en 1954. Mais sa rencontre avec Jean Dubuffet, à la galerie Chave de Vence l’année suivante, a bousculé sa paisible carrière d’enseignant, cette relation amicale lui ayant ouvert un accès privilégié vers une voie de la création artistique alors en pleine invention et définition : l’art brut. Dereux a assisté et accompagné Dubuffet dans ses travaux, en chassant des papillons ou en collectant des végétaux, pratiques qui l’ont éclairé sur sa propre vocation d’artiste. Il contribue également à la réalisation des jardins de la villa de Dubuffet, L’Ubac, en apportant ses connaissances en matière d’horticulture. En guise de reconnaissance, Dereux offrira son herbier à Dubuffet et il jouera un rôle
déterminant auprès de René Deroudille pour que le musée des Beaux-Arts de Lyon acquière, dès 1956, le Paysage blond, première oeuvre de Dubuffet à intégrer une collection publique française2. À partir de 1959, Philippe Dereux invente un univers personnel peuplé de personnages constitués d’épluchures végétales, d’écorces, de graines, de légumes secs rehaussés à la gouache ou à l’encre. Il devient « colleur de peaux » en recyclant des matières périssables, des déchets naturels, amenés à disparaitre rapidement, dans des compositions en relief où ces rebuts revivent. L’artiste est particulièrement attentif à la multiplicité des tonalités de bruns, d’ocres, d’orangés ou d’anthracites que les diverses manipulations des épluchures permettent d’obtenir : les pelures peuvent être séchées par le soleil ou par le vent, passées au fer à repasser ou au four, oubliées un temps dans un livre? Après avoir peint des compositions abstraites à la gouache ou à l’huile, dans lesquelles il insère des épluchures de fruits et de légumes, Dereux donne de plus en plus de place aux figures en relief composées des seules épluchures et en vient à publier, en 1966, un texte touchant sur cette pratique : le Petit traité des épluchures (Julliard), qui sera suivi par la tenue d’un
« journal des épluchures ». La plupart du temps, les compositions rendent compte d’épisodes anecdotiques du quotidien et témoignent d’un engagement autobiographique fort. Dans son Petit traité, Dereux explique à quel point cette pratique aléatoire de l’ordonnancement et du collage des épluchures est une activité pleine de mystère qui conduit à des problèmes philosophiques : « Quand je colle mes épluchures, que je les vois se grouper, s’attirer, se repousser, je me crois le démiurge procédant à la création de l’Univers. [...] Une épluchure est déjà, par elle-même, du fait du légume ou du fruit dont elle provient, de son épaisseur, de sa forme, de sa couleur, quelque chose d’unique mais dix, vingt, trente épluchures de la même provenance ou d’origines diverses forment un monde, et un monde qui pourrait être autre si les épluchures étaient collées autrement3. » Les Houligans comptent parmi les pièces remarquables du milieu des années 1970 qui représentent quelques figures isolées ou en petit groupe que l’artiste qualifie lui-même de « Théâtres » en référence à sa passion pour le spectacle vivant. Les postures des trois supporteurs, prêts à en découdre, sont particulièrement bien senties et animées par une recherche notable sur
 la sinuosité des lignes. « Une critique caricaturale et drolatique de la société », selon l’artiste.

Dereux expose dès 1963 à la galerie Weiller à Paris, mais le marchand qui lui restera fidèle toute sa vie est la galerie Chave à Vence (de 1965 à 1999), tandis que Marcel Michaud, puis, plus durablement, Paul Gauzit, l’ont défendu régulièrement à Lyon. (G.P.)

 

 

 

1. Philippe Dereux, « Une vie », dans Henri Raynal et Jean-Jacques Lerrant, Une vie : Philippe Dereux, Vence, galerie Alphonse Chave, 1999, p. 9.
2. Patrice Béghain, Une histoire de la peinture à Lyon, Lyon, Éditions Stéphane Bachès, p. 325.
3. Philippe Dereux, Petit traité des épluchures, ou expérience et réflexions d’un colleur de peaux, Paris, Julliard, « L’Astrolabe », 1966, p. 50.

 

 

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