• ill. 1. Joseph François Ducq, Énée faisant le récit de ses aventures à Didon, 1806. Huile sur toile, 66 x 50 cm. Collection particulière.

    ill. 2. Joseph François Ducq, Étude de Pâris, 1806. Pierre noire, 50,7 x 38,5 cm. Bruges, Cabinet des estampes.

La disparition de l’œuvre peint de Joseph François Ducq est singulière au regard de sa production répertoriée et de sa carrière publique : le peintre figure parmi les représentants les plus notoires de l’école belge du début du XIXe siècle1. Il n’est certes pas un élève précoce, puisqu’il n’intègre l’Académie de Bruges qu’à l’âge de dix-huit ans. Ses bonnes dispositions l’encouragent à suivre l’enseignement de son compatriote Suvée à Paris, où il arrive en 1786. Il suit dès lors les cours de l’Académie royale, obtenant quelque distinction dans les concours de quartier, dont un premier prix de la figure peinte en 1789, jusqu’à ce que l’accélération des évènements révolutionnaires mette un coup d’arrêt à son cursus. Ducq rejoint sa famille à Bruges en 1792 et ne retrouve Paris qu’à la fin de 1795. Après des débuts au Salon de 1799, il est admis à concourir pour le prix de Rome l’année suivante, et obtient le second prix ex æquo avec Ingres. Son morceau d’Antiochus rendant son fils à Scipion (non localisé) est acquis par le ministre de la Police, Fouché, qui lui commande en pendant Méléagre résiste aux prières de ses parents (non localisé) – l’un des tableaux qui, au dire de Landon, « attirèrent le plus les regards du public2 » au Salon de 1804. Comme la plupart de ses œuvres exposées, celle-ci n’est plus localisée, mais les gravures au trait qu’en donne Landon dans ses recueils et les quelques tableaux aujourd’hui disponibles permettent de comprendre le sens de son élaboration stylistique à cette date. Comme tous les jeunes artistes Ducq assiste à l’ouverture du musée des Antiques, au Louvre, qui devient une annexe des salles de l’Académie aussi bien que des ateliers privés installés dans le palais. L’étude des statues infuse la manière de peindre de certains au point qu’ils tendent vers une forme de primitivisme. La simplification formelle de l’allégorie de l’Aurore, peinte par Ducq en 1803-1804 pour un plafond du palais impérial de Saint-Cloud (Paris, musée du Louvre), ainsi que l’Annonciation du Salon de 1804 (Beauvais, Musée départemental de l’Oise), procèdent de cette recherche d’esthétisme. Ces œuvres démontrent par ailleurs une communauté d’esprit avec Landon qui explique les éloges que ce peintre-éditeur dispense à Ducq dans ses anthologies du Salon.

Encouragé par son compatriote Odevaere, Prix de Rome de 1805, à le rejoindre à Rome, Ducq s’y rend en décembre 1806. Eugène de Beauharnais, qu’il a rencontré sur sa route, intervient pour lui obtenir un atelier à la villa Médicis et lui commande plusieurs tableaux, dont Le Dévouement d’un Scythe, monumentale scène de combat entre deux hommes et un lion3. Il y réside jusqu’en 1813, date de son retour à Paris, et regagne sa patrie en 1815 pour y prendre une place de professeur à l’Académie, avant d’en être nommé le directeur.

L’activité de Ducq comme peintre d’histoire fut régulière mais, après la chute de l’Empire, elle ne semble plus s’être déroulée qu’en Belgique. Plus que dans les musées, c’est au gré des ventes publiques et sur le marché de l’art qu’il faut redécouvrir ses œuvres, car si certains de ses portraits sont visibles dans les collections publiques européennes – le Rijksmuseum a acquis en 2019 son portrait du graveur Joseph Charles de Meulemeester travaillant dans les Loges du Vatican –, les tableaux d’histoire y sont rares. Daté de 1806, Vénus introduisant Pâris dans l’appartement d’Hélène à Sparte précède de peu le départ de l’artiste pour Rome. Il est un exemple du succès rencontré par Ducq auprès de hauts fonctionnaires de l’Empire, puisqu’ il intégra, avec son pendant Énée faisant le récit de ses aventures à Didon (ill. 1), le cabinet du comte Anselme de Peellaert (1764-1817), sans même passer par le Salon. Ce notable francophile, éphémère sympathisant de la Révolution française, présidait alors le conseil départemental et le collège électoral du département de la Lys. Colonel de la Garde nationale brugeoise en 1809, il plut si bien à Napoléon lors de sa visite à Bruges l’année suivante que ce dernier le fit officier de la Légion d’honneur, comte d’Empire et chambellan de l’Empereur. Après la chute de l’Empire, Peellaert, déchu de ses titres de noblesse et lourdement endetté, dut vendre tous ses biens et n’y survécut pas4.

Vénus introduisant Pâris dans l’appartement d’Hélène à Sparte est, avec son pendant, particulièrement exemplaire du goût de Peellaert, qui a exprimé sa réussite en transformant sa maison brugeoise en palais Empire et en se faisant construire un château dans le même style à Saint-André-lez-Bruges. Plus élaboré que dans aucun autre tableau de l’artiste, le décor néo-pompéien composé de tentures, marbres, fresques, et agrémenté d’un mobilier de bronze et bois que l’on devine précieux, sur le modèle du Recueil de décoration intérieure de Percier et Fontaine, devait faire écho à l’univers du collectionneur. Dans les proportions réduites d’un tableau de cabinet, Ducq propose une représentation dans laquelle toutes les parties concourent à favoriser l’évasion du spectateur dans le monde de la Fable. Par une nuit de pleine lune, Vénus, irradiant la scène d’une lumière surnaturelle, introduit Pâris auprès d’Hélène endormie. L’effet piquant du clair-obscur sculpte la figure du héros (le musée de Bruges en conserve une étude, ill. 2) en même temps qu’il révèle la nudité sensuelle d’Hélène, allongée dans la posture de l’Ariane antique du Vatican. Sur le plan pictural, Ducq a trouvé le juste équilibre entre la stylisation antique des formes et l’exécution fine de la tradition flamande du temps de Van Eyck – combinaison qui annonce sa future conversion au genre anecdotique. (M.K.)

 

1. Voir la notice biographique de Dominique Vautier dans 1770-1830 – Autour du néoclassicisme en Belgique, cat. exp. Bruxelles, Musée communal des beaux-arts d’Ixelles, 1985-1986, Bruxelles, Crédit communal, 1985, p. 136-137, et les apports de Denis Coekelberghs dans « Les peintres belges à Rome aux XVIIIe et XIXe siècles. Bilan, apports nouveaux et propositions », dans Italia-Belgica, Institut historique belge de Rome, 2005, p. 243-244.
2. Charles Paul Landon, Annales du musée et de l’École moderne des beaux-arts, VIII, Paris, an XIII-1805, p. 141?142, pl. 67.
3. Huile sur toile, 276 x 399 cm, Salon de 1810, collection Eugène de Beauharnais ; Florence, Grozzini Palmieri ; réapparu en vente à New York, Christie’s, 13 janvier 1995, lot 126, où il est acquis par Rudolf Nureyev ; puis Christie’s, New York, 15 octobre 1998, lot 68.
4. Voir Andries Van den Abeele, De Noblesse d’Empire in West-Vlaanderen, dans Biekorf, vol. 102, 2002, p. 309-332.

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