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(Lyon, 1729 - Turin, 1821)
Marie Madeleine pénitente, 1768
Huile sur toile
146 x 174 cm
Signé, localisé et daté en bas à gauche, sur le livre : L. Pecheux. Lugd. Romae.1768
Historique
Peint pour le marquis de Lopis, colonel de la garde royale avignonnaise.
Bibliographie
Alessandro Baudi di Vesme, Schede Vesme. L’arte in Piemonte dal XVI al XVIII secolo, Turin, éd. Società Piemontese di Archeologia e Belle Arti, 3 vol., 1963-1968, III, 1968, p. 786-799, cité p. 797.
VENDU
Acquis par le monastère royal de Brou, Bourg-en-Bresse
Arrivé à Rome en 1753 pour ne plus jamais quitter la Péninsule, Pécheux, à la suite de Poussin, de Gelée, de Le Gros, ou de Subleyras, a ajouté son nom à la liste des artistes français expatriés sur la « Terre sacrée » et qui y ont rencontré la fortune et la gloire. Une solide instruction, dispensée de bonne heure par un précepteur et par les jésuites, selon la volonté de son père – un maître tailleur amoureux des lettres –, a déterminé non seulement le caractère de son art, mais aussi sa réussite sociale. Dans son autobiographie, le peintre fait remonter sa vocation à l’âge de six ans, et place son départ pour Paris vers 1745, où il étudie sans fruit chez Natoire. Rappelé à Lyon, il se forme en autodidacte au contact des artistes locaux pendant les sept années suivantes, et donne assez de gages de talent pour que son père accepte de l’envoyer à Rome, en 1752. Pécheux ne tarde pas à être introduit auprès d’Anton Raphael Mengs, le grand ordonnateur de la rénovation picturale, qu’il a théorisée avec son compatriote allemand et alter ego Johann Joachim Winckelmann, mais aussi antagoniste déclaré de la manière française, qu’il juge arriérée à l’heure de la redécouverte de l’Antiquité. Pécheux fréquente et travaille avec les principaux zélateurs du « retour à l’antique », tous adeptes de la grecque et du marbre : le dessinateur de ruines et ornemaniste Clérisseau, les architectes écossais Robert Adam et William Chambers, le graveur Piranèse. Cette sociabilité cosmopolite compense ses mauvaises relations avec le directeur de l’Académie de France, Natoire, qui fait grief à ce jeune peintre indépendant, naguère son élève, de ses amitiés étrangères. La relation que Pécheux développe parallèlement avec Pompeo Batoni, chef de l’école romaine de peinture, va faciliter sa carrière en le mettant en contact avec une clientèle de haut rang, si bien que, dès la fin des années 1750, Pécheux devient un peintre en vue, qui reçoit des commandes et commence à former des élèves. Cette reconnaissance le conduit à être reçu académicien de mérite à l’Académie de Saint-Luc et
membre honoraire de celle de Parme, en 1762. Celui qui compte parmi ses clients Lord Hope, le bailly de Breteuil, l’abbé de Livry, qui voyage à travers l’Italie avec Randon de Boisset, receveur général des Finances de Lyon, devient en 1764 portraitiste de la cour de Parme. Compte tenu de notre méconnaissance actuelle de son oeuvre de portraitiste, on peine à se figurer son succès dans ce genre à partir de cette date : Choiseul (ambassadeur de France à la cour de Naples), le prince de Rohan (ambassadeur de Malte), le comte de Kaunitz-Rittberg (ambassadeur d’Autriche), la comtesse d’Albany, Charles III d’Angleterre, Ferdinand 1er, duc de Parme, et son épouse Marie-Amélie, archiduchesse d’Autriche, enfin Victor-Amédée III de Savoie et sa cour, figurent sur la liste de ses modèles illustres. Assurément, Pécheux doit cette remarquable ascension à des qualités sociales et à une bonne éducation qui lui permettent d’être sur un pied d’égalité avec ses clients, au moins intellectuellement, et en font un homme de bonne compagnie. Le plafond de L’Assemblée de dieux peint pour la salle du Gladiateur de la Villa Borghèse, élément majeur de ce chantier décoratif le plus ambitieux de la Rome de Pie IV, est le couronnement de sa carrière romaine. Il ne réside plus dans la Ville éternelle lorsqu’il l’achève en 1782. En effet, il a accepté en 1777 la charge de Premier Peintre du roi de Piémont-Sardaigne et de directeur de son Académie des beaux-arts, et s’est installé à Turin en septembre. Il ne quittera plus ce royaume, assumant les plus hautes fonctions auxquelles un artiste de cour puisse aspirer, conservant sa position sous l’Empire comme sous la Restauration1.
D’abord adepte de ce que les partisans français de la tradition coloriste nomment la « manière froide » initiée par Mengs, c’est-à-dire dérivant de l’imitation de l’antique, dernier terme de la modernité à Rome, Pécheux n’en est pas un idéologue. Son amitié avec Batoni l’a aussi rendu sensible à la variété des écoles d’Italie des siècles passés, qu’il découvre au cours du voyage effectué en compagnie de Randon de Boisset en 1764, dans la moitié nord de la péninsule, et dont il consigne les impressions dans son journal.
C’est à la lumière de ces influences qu’il faut apprécie la Madeleine pénitente. Inédite, elle est une découverte majeure pour la connaissance de l’artiste, et, pour autant que son oeuvre aujourd’hui connue permette de juger, un unicum : portraits exceptés, on ne connaît pas d’autre composition à figure unique de grandeur naturelle de sa main. Dans la Note des tableaux que j’ai faits à Rome2, le peintre la place au printemps 1768, entre les deux voyages qu’il effectue à Naples, au début de l’année, puis de mai à décembre. La liste des tableaux inscrits dans ce court intervalle, commencés sans doute l’année précédente, compte tenu de leur envergure, révèle une intense production dans le genre religieux : il achève en ce début d’année La Mort de la Vierge (Lyon, musée des Beaux-Arts), Le Sacrifice offert par Manué (non localisé) et La Présentation de Jésus au Temple pour la cathédrale de Dole, sixième composition d’un ensemble de grands formats qui en comptera douze et auquel il travaille depuis 1762.
Si Pécheux démontre dans la Madeleine une facilité et un bonheur de peindre plus évidents que dans les grandes scènes d’action articulant, parfois avec effort, de nombreuses figures, c’est que le sujet se prêtait plus que tout autre à l’expression du sentiment qui l’avait touché chez ses maîtres de prédilection, le Corrège et le Baroche3. L’influence du premier est sensible dans l’air et dans la douceur du visage de la sainte, dans l’image d’une pénitence apaisée et sensuelle, dont le Corrège avait jadis fixé le modèle (tableau non localisé mais connu par des gravures et copies), tandis que l’influence de Barocci, lui-même émule du précédent, est palpable dans l’arrangement des drapés largement froissés, et dans leur harmonie chromatique d’un grand raffinement. Mais il faut aussi replacer cette oeuvre d’une indéniable séduction picturale dans le dialogue que Pécheux entretient avec Batoni : la Marie Madeleine peinte par ce dernier en 1742 (détruite à Dresde en 1945, ill. 1) était le témoignage le plus explicite de sa propre dévotion pour le Corrège, et, partant, sans doute un motif d‘émulation pour Pécheux. (M.K.)
1. Les éléments biographiques de cette notice sont empruntés aux essais de Laurent Pécheux (1729-1821). Un peintre français dans l’Italie des Lumières, cat. exp. Dole, musée des Beaux-Arts ; Chambéry, musée des Beaux-Arts, 2012-2013, Sylvain Laveissière (dir.).
2. Turin, Accademia delle Scienze, Mss. 629 (ex-Miscell. Manoscr., E, V, 12, fasc. Pécheux), mis en ligne sur le site www.accademiadellescienze.it.
3. « Dans les villes de la marche d’Ancône, Barroche me plût infiniment, et crut dans mon estime », « à Parme je fus enthousiasmé du Corrège », autobiographie manuscrite, Turin, Accademia delle Scienze, Mss. 630, mis en ligne sur le site www.accademiadellescienze.it, folios 23-24.
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