L’artiste
Cinquième enfant d’une modeste famille vénitienne, Francesco Hayez découvre la peinture avec un oncle collectionneur et marchand d’art. Sa première formation est couronnée en 1809 d’un prix de l’Académie des beaux-arts de Venise qui lui ouvre les portes de l’Académie nationale de San Luca à Rome. Accueilli par son compatriote Antonio Canova, il fait connaissance avec le milieu artistique international (le cercle de la Villa Médicis, les Nazaréens), et se lie d’amitié avec la jeune génération des peintres d’histoire italiens, Pelagio Palagi et Francesco Podesti en tête. Sa participation au programme décoratif du Quirinal ordonné par l’administration napoléonienne en 1813, et la commande par Murat, roi de Naples, d’un tableau d’histoire à sujet homérique marquent son entrée dans la carrière des arts.
Dès ses débuts son attirance pour les sujets médiévaux et renaissants concurrence l’autorité des thèmes antiques traditionnellement favorisés par le système académique. Son excellence dans le genre du portrait lui est par ailleurs, dans ses premières années, un précieux secours financier et, tout au long de sa vie, un moyen de fortune. Le tableau du Dernier baiser, représentant l’ultime étreinte de Roméo et Juliette (1823, Villa Carlotta), est le premier succès d’une longue série, confirmant sa prédilection pour le « genre historique », la peinture des passions en costume moderne.

 

Le contexte
Popularisée par la tragédie de Schiller (1800), l’histoire de la reine d’Ecosse au destin tragique a la faveur des artistes et trouve ses meilleurs interprètes parmi les peintres dits « troubadours » et romantiques. La fortune artistique du personnage est particulièrement faste en 1826 : Eugène Devéria peint La Lecture de la sentence de Marie Stuart (Angers, musée des Beaux-Arts), qui suscite l’enthousiasme de Victor Hugo à l’exposition au profit des Grecs à Paris, tandis qu’à Milan paraissent la partition d’un ballet tragique, un livret de mélodrame et un calendrier populaire. C’est à ce moment que Hayez conçoit deux tableaux inspirés de l’histoire de Marie Stuart, le premier la représentant protestant de son innocence à la lecture de sa condamnation à mort, commandé par le turinois Gaetano Bertolazzone d’Arache, et le second figurant la montée à l’échafaud, destiné au baron Ludwig von Seufferheld (Milan, collection particulière).

 

 

Le personnage
Comme ses contemporains, Hayez a été marqué par la pièce de Schiller, mais il s’est également inspiré de la célèbre Histoire d’Ecosse sous les règnes de Marie Stuart et de Jacques VI, de l’historien écossais William Robertson. L’ouvrage retrace, documents à l’appui, la destinée tragique de la fille du roi Jacques V Stuart et de la française Marie de Guise, nièce de Charles VIII, élevée à la cour de France où elle épouse le roi François II en 1559. De retour dans ses terres après la mort de ce dernier en 1560, la reine catholique retrouve un royaume devenu protestant. Sa religion et ses nouvelles amours suscitent l’hostilité. Son entourage proche est frappé à plusieurs reprises de mort violente : son secrétaire et amant supposé, David Rizzio, est assassiné presque dans ses bras par un deuxième époux, Henry Darnley, qu’elle n’aime pas. Accusée à son tour d’avoir programmé l’assassinat de ce dernier en 1567, avec son amant l’amiral Boswell, qu’elle épouse dans la foulée, elle est détrônée et enfermée au château de Lochleven. Elle s’échappe et croit pouvoir trouver refuge auprès de sa cousine Elisabeth d’Angleterre, qui au contraire l’accable. S’ensuivent dix-neuf années de prison, qui prendront fin avec sa condamnation à mort, au motif qu’elle aurait conspiré contre l’Angleterre.

L’histoire
Le 7 février 1587, les comtes de Shrewsbury et de Kent sont envoyés avec le haut shérif du comté de Northampton auprès d’elle à Fotheringay où elle est enfermée : « Ils firent lecture en sa présence de l’ordre donné pour l’exécution, et ils lui dirent de se préparer à mourir le lendemain matin. Marie entendit jusqu’au bout cette lecture sans aucune émotion : puis faisant sur elle le signe de la croix, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit : “ Une âme, dit-elle, capable de murmurer de ce que son corps doit périr par la main du bourreau, n’est pas digne de goûter les joies du paradis. Je ne m’attendais pas que la reine d’Angleterre voulût donner le premier exemple de violer la personne sacrée d’un prince souverain, mais je me soumets volontiers à ce qu’il plaît à la Providence d’ordonner de mon sort. ” Ensuite mettant la main sur une bible qui se trouva auprès d’elle, elle protesta solennellement qu’elle était innocente de la conspiration que Babington avait formée contre la vie d’Elisabeth. […] Pendant cette conversation, les domestiques de la reine étaient accablés de douleur ; et quoiqu’ils fussent intimidés par la présence des deux comtes, ils avaient peine à se contenir. »

 

 

Le tableau
Quoique l’esquisse ait été composée en 1827, Hayez réalisa d’abord Marie Stuart conduite à l’échafaud, qu’il exposa avec un immense succès en 1828. Dans cette scène le nombre des figures, la variété des costumes et la richesse chromatique étaient calculés pour régaler la vue. Ce sont des qualités qui, poussées à un très haut degré de sensibilité, ont assimilé l’artiste au romantisme : « le talent très remarquable de M. Hayez, par sa hardiesse et même sa bizarrerie, appartient à l’école de MM. Devéria et Delacroix. » (Antoine-Claude Valéry, Voyages historiques et littéraires en Italie, pendant les années 1826, 1827 et 1828 ; ou L’Indicateur italien, Paris, 1831, I, p. 166).

 

 

Marie Stuart protestant de son innocence est révélée au public milanais cinq ans plus tard et montre un parti dramatique différent. Le nombre beaucoup plus restreint des figures, la palette plus harmonisée, la lumière plus subtile que dans le tableau de 1828, attestent une volonté de concentration dramatique. La théâtralité de l’ordonnance et l’isolement émotionnel de chaque personnage sont réglés pour favoriser l’émotion du spectateur. Pour ces raisons le tableau suscita des critiques dithyrambiques : « Le feu, l’élan de son inspiration l’ont conduit, l’ont toujours entraîné dans l’exécution de cette émouvante peinture. Il n’existe pas de parties où ne vive ce feu, il n’y a pas de trait dans lequel on n’aperçoive le génie qui y est passé avec les foudres tombées du ciel. » (D. et G. Sacchi dans Il Nuovo Ricoglitore, septembre 1832). L’œuvre inspira une ode au poète Domenico Biorci. L’Emporio pittoresco en parle en 1867 comme de cette « stupéfiante Marie Stuart qui reste un des tableaux les plus populaires de notre temps ». On y retrouve en somme l’écho des qualités que Stendhal attribuait au peintre qui n’était selon lui « rien moins que le premier peintre vivant. Ses couleurs réjouissent la vue comme celles du Bassan et chacun de ses personnages montre une nuance de passion […]. Ce peintre m’apprend quelque chose de nouveau sur les passions qu’il peint. » (Correspondance, Paris, Le Divan, 1934, VI, p. 236.)

 

 

 

 

Provenance
Commandé par Lodovico Gaetano Bertolazzone troisième comte d’Arache et deuxième comte de Banna (1782-1854), Turin, vers 1827. – Acquis par Antonio Besana, Milan, avant 1883. – Resté dans la famille par descendance jusqu’en avril 2011.– Galerie Michel Descours depuis 2012.

 

 

Œuvres en rapport
- modello daté de 1827, huile sur toile, 45 x 58 cm, Milan, Pinacoteca di Brera (inv. 163), repr. ci-contre.
- deux dessins préparatoires pour la figure de Marie Stuart, pierre noire, 33 x 24,8 et 33,5 x 25 cm, Milan, Pinacoteca di Brera, Album piccolo I, nn. 598 recto, 650.


Expositions
1832, Milan, Brera, Esposizione di Belle Arti, p. 49.
1838, Turin, Accademia Albertina, Esposizione di Belle Arti.
1883, Milan, Esposizione retrospettiva, p. 31, n° 8 (G. Mongeri).
1983, Milan, Hayez, Milan, Palazzo Reale, Accademia Pinacoteca Biblioteca di Brera, p. 137-139, n° 65, repr. (M.G. Gozzoli et F. Mazzocca)

Bibliographie
- Ambrosoli, L’Eco, 1832, p. 453-454.
- Domenico Biorci, Le sculture di Pompeo Marchesi e le pitture di F. Hayez esposte nell’I.R. Galleria di Brera l’anno 1832 descritte in versi, Milan, 1832, p. 14-17.
- Anonyme, Corriere delle Dame, 1832, p. 413.
- Don Sincero, Un’occhiata all’Esposizione di Belle Arti nelle Sale dell’I.R. Palazzo di Brera, Milan, 1832, p. 9-10.
- Fumagalli, “Varietà. Pittura. Pittura storica.”, Biblioteca italiana o sia Giornale de letteratura, scienze ed arti, LXVII, septembre 1832, p. 395-397.
- Anonyme, Le Glorie, 1832, p. 64-70.
- G. J. Pezzi, Gazetta di Milano, 1832, p. 1045.
- Defendente et Giuseppe Sacchi, Le Belle Arti e l’Industria. Almanacco, Milan, 1832, p. 45-48.
- Defendente et Giuseppe Sacchi, “Le Belle Arti in Milano nell’anno 1832”, Il Nuovo Ricoglitore, n° 93, septembre 1832, p. 627-629.
- Anonyme, “Interno. Torino, 22 novembre.”, Galleria piemontese, n° 139, 22 novembre 1832, p. 756.
- Galleria universale..., 1834-1836, I, p. 45.
- Felice Romani, “Belle Arti. Nuova Esposizione di Pittura”, Galleria Piemontese, 151, 5 juillet 1838.
- J.M., “Modern Italian Painters”, Westminster Review, lxix, avril 1841, p. 193-194.
- G. Mazzini, “Modern Italian Painters”, London and Westminster Review, XXXV (p. 363-390), éd. dans Scritti editi ed inediti, Imola, 1915, XXI, p. 298.
- Domenico Biorci, I Miei Trent’anni. Rimembranze letterarie, artistiche, storiche e politiche, Turin, 1859, p. 93-97.
- Francesco Hayez, Le Mie Memorie, éd. par G. Carotti, Milan, 1890, p. 276.
- Nani Mocenigo, La letteratura veneziana del secolo XIX, Venise, 1916, p. 209.
- Fernando Mazzocca, Invito a Francesco Hayez, Milan, 1982, p. 69.
- Fernando Mazzocca, Francesco Hayez. Catalogo ragionato, Milan, 1994, p. 178, n° 173, p. 222-223, repr.

 

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