• ill. 1. Guillaume Guillon, dit Guillon Lethière, La Mort de César. Plume et encre brune, lavis brun, sur traits de graphite, 26,3 x 48,7 cm. Collection particulière.

    ill. 2. Guillaume Guillon, dit Guillon Lethière, La Mort de Virginie. Huile sur toile, 49.53 x 76,2 cm. Los Angeles County Museum of Art.

L’absence de monographie consacrée à cet artiste majeur est l’une de ces anomalies de l’histoire de l’art qui fait du résumé de sa vie un exercice malaisé1. Fils d’un planteur de la Guadeloupe fait procureur du roi et d’une métisse, Guillaume Guillon est placé en 1774 auprès de Jean-Baptiste Decamps à l’école gratuite de dessin de Rouen pour y développer ses dispositions artistiques précoces. Du surnom qui lui est donné alors, désignant sa troisième place dans la fratrie des Guillon, il fera son patronyme. Il intègre l’atelier de Gabriel-François Doyen à Paris trois ans plus tard pour y apprendre la peinture. En l’absence de Vien, devenu directeur de l’Académie de France à Rome, et avant que David n’ouvre son atelier à Paris au tournant de 1780-1781, Doyen s’impose comme l’un des grands maîtres de la peinture d’histoire et Lethière cultive auprès de lui son ambition dans ce genre, contractant par là même la vision de l’antiquité tragique qui allait mobiliser son talent sa vie durant. Obtenant plusieurs prix tout au long de son parcours académique, il manque de peu le prix de Rome de 1784, recevant le second prix (Le Christ et la Cannanéenne, Angers, musée des Beaux-Arts) derrière Jean-Germain Drouais et Louis Gauffier. La protection de Mme de La Palue2 et les espoirs que d’Angiviller, directeur des Bâtiments du roi, place dans son talent lui valent cependant d’être nommé pensionnaire de l’Académie de France à Rome en 1786. Tandis que l’autorité loue ses progrès continuels, Lethière se distingue également par des qualités humaines et sociales qui détermineront son ascension. Composée en guise d’envoi de Rome de 1788, l’esquisse de Brutus condamnant ses fils à mort pour avoir conspiré contre la Patrie est la première oeuvre où percent ses facultés : « Il y a beaucoup de génie, d’expression et de caractère dans ce dessin, qui est d’un excellent style et qui transporte au temps de l’événement3 » s’enthousiasme Ménageot, directeur de l’Académie. Lethière bâtira sa carrière sur ce projet qu’il présentera sous différentes formes aux Salons de 1795 et 1798, avant d’achever sa grande toile définitive en 1811 (Paris, musée du Louvre). On est peu renseigné sur son activité après son retour en France à l’automne 1791, cependant l’année 1795 est documentée par son association avec des graveurs, Coqueret en particulier, à qui il confie son dessin de Brutus ainsi que la grande composition en frise très soignée du IX thermidor an II4. Mais c’est à son Philoctète dans l’île de Lemnos (Paris, musée du Louvre), distingué par un prix d’encouragement au Salon de 1798, que Lethière doit sa reconnaissance publique. Cette nouvelle notoriété lui vaut l’attention de Lucien Bonaparte qui se l’associe durant son ambassade en Espagne, de 1801 à 1803, pour constituer sa collection de tableaux de l’école espagnole. C’est probablement à son association avec ce frère de Napoléon bientôt exilé à Rome que le peintre doit son envergure institutionnelle. Nommé à la tête de l’Académie de France à Rome en 1807, sa longévité comme directeur de l’établissement (dix années au lieu des six réglementaires) a pu être expliquée jadis par sa bonne gestion5. Son élection à l’Académie des beaux-arts en 1816, sa nomination comme professeur à l’École des beaux-arts qui en découle en 1819 et sa promotion à l’ordre de la Légion d’honneur récompensent son sens politique et le placent au premier rang des peintres français.

Au cours de son séjour de pensionnaire à Rome, Lethière conçut le projet d’un cycle consacré à quatre événements marquants de l’histoire de Rome, soit Brutus condamnant ses fils à mort, la mort de Virginie, la mort de César et la défaite de Maxence contre Constantin. Il bâtit sa carrière sur les deux premières compositions qu’il déclina en esquisses et dessins tout au long de sa vie, avant d’en achever les grandes toiles définitives, l’une en 1811, l’autre en 1828. Des deux derniers sujets, Lethière réalisa des modelli qu’il n’exécuta jamais en grand. On connaissait de La Mort de César un grand dessin (ill. 1) et une esquisse peinte6. Identique à cette dernière, à quelques détails près (la couleur et l’ajustement de certains drapés, des décalages dans les postures), notre exemplaire inédit témoigne de la pratique cette action Lethière recycle les données de La Mort de Virginie de Doyen (Parme, Galleria nazionale), mais élargit l’étendue de l’action pour englober le peuple, devenu un acteur collectif capital, dans son champ. La représentation de l’élan populaire est au coeur des grands projets de Lethière. Il la décline concurremment dans une première version de La Mort de Virginie (ill. 2) qui présente maintes analogies avec La Mort de César : le dispositif scénique et perspectif, les rapports chromatiques entre les drapés, attribuant le rouge à l’homme de pouvoir, le blanc à la victime et le jaune au comparse qui l’assiste, sont si semblables dans les deux modelli que l’artiste dut abandonner l’un des deux sujets pour privilégier le plus pathétique, mettant en scène le sacrifice d’une jeune femme innocente.

L’historique de la présente esquisse est inconnu, mais sa provenance madrilène pourrait suggérer qu’elle y fut apportée ou exécutée par l’artiste lors de son séjour en Espagne dans la suite de Lucien Bonaparte, en 1801-1803. (M.K.)

 

 

 

 

1. La thèse inédite de Geneviève Madec-Capy, Guillaume Guillon-Lethière, peintre d’histoire (1760-1832), université Paris-IV, 1998, n’a pas comblé cette lacune.
2. A. de Montaiglon et J. Guiffrey (éd.), Correspondance des directeurs de l’Académie de France à Rome, XV : 1785-1790, Paris, J. Schmit, 1905, p. 36, 39-40.
3. Ménageot à d’Angiviller, 24 septembre 1788, cité par Montaiglon et Guiffrey, op. cit., p. 283.
4. Voir D. Radrizzani, Dessins français. Collection du Cabinet des dessins du Musée d’art et d’histoire de Genève, cat. exp. Genève, éd. Somogy / Musées d’art et d’histoire, 2004, n° 48, p. 78-79, repr.
5. Voir Quatremère de Quincy, « Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Lethière », Suite du Recueil de notices historiques lues dans les séances publiques de l’Académie royale des beaux-arts à l’Institut, Paris, 1837, p. 100.
6. Vente anonyme, Paris, Hôtel George-V, 9 avril 1990, n° 129. – Paris, galerie Coatalem. – Dublin, Historical Limited Central Chambers, voir Geneviève Madec-Capy, n° P. 91, p. 472.

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